32 - Dr Aoude, l'expert des experts

 Lundi 6 juin – Rendez-vous avec Dr Aoude

Aujourd’hui est une journée importante pour moi, j’en apprendrai plus sur la chirurgie et sur la préadaptation.  Comme si elle lisait dans mes pensées, Gabriella, mon coach de spinning ce matin, finit le cours avec en disant :  Ride to the victory line!  J’en ai bien l’intention.

7 h départ de la maison, mon rendez-vous est à 10 h.  Normalement, ce sont les nouvelles de Radio-Canada qui m’accompagnent dans la voiture; pas ce matin. Je suis de bonne humeur, j’ai le goût de danser et c’est le disco qui résonne à tue-tête dans ma voiture. Eh oui! Je l’avoue, c’est mon plaisir coupable, je n’ai jamais décroché des années 1980-1990.  J’adore cette musique, j’adore danser.

Je chante donc à plein poumon et je danse dans la voiture. Mes voisins de route regardent avec étonnement ce qui se passe dans cette Mazda CX5 d’un vibrant rouge cerise.  On s’interroge sûrement sur la santé mentale de cette blonde au volant.  Je m’en fous carrément.

Centre de cancer des Cèdres
Michel et moi arrivons en même temps au Centre de cancer des Cèdres[1].  Tiens donc!  Michel est à vélo; un nouveau vélo électrique que je compte bien essayer un jour.

Comme toujours, je m’enregistre, mais je note que la salle d’attente bourdonne, il y a foule ce matin.  Ça me frappe tout à coup, tous ces gens ont le cancer!  Ouf! (À tout le moins, la moitié, puisque la majorité sont accompagnés, mais quand même). Le temps passe et il me semble que personne n’est appelé. Bizarre, j’ai déjà joué dans ce film…

Sur le système sonore de l’hôpital, une voix annonce qu’ils sont en surcapacité, patience sera de mise.  Décidément, c’est une première.

Finalement, je ne verrai Dr Aoude qu’à 14 h 30, mais ça valait l’attente.

On discute de la chirurgie, je serai à l’hôpital environ trois à quatre jours.  Évidemment, il y aura des tests préopératoires, mais fondamentalement, ce sont les résultats du MRI du 23 juin qui seront déterminants.  C’est à ce moment alors, et pas avant, qu’ils pourront évaluer les résultats de la radiothérapie et décider s’ils procèdent avec l’extraction de Gaspard. 

Dr Aoude me demande si j’ai l’impression que la masse est réduite.  Ça, c’est vraiment étrange.  Je réalise du coup que mon cerveau est tellement dissocié et déconnecté de cette « chose » que je n’y touche jamais.  En appuyant sur la masse, j’ai effectivement l’impression que la masse est plus petite, mais est-ce mon imagination?  J’espère que non.

J’ai une longue liste de questions, mais deux sont d’une importance capitale pour moi.  Lors d’un appel avec l’infirmière, Mme Josée avait mentionné : je ne sais pas qui va vous opérer.  Cet énoncé avait semé une petite panique mentale, parce qu’il est clair pour moi qu’un seul homme a l’expertise et l’autorité, de par ses compétences spécialisées, pour m’opérer :  Dr Aoude.  Il peut amener tous ses amis experts autour de la table, mais lui seul peut tenir le scalpel et diriger l’opération.

Je lui pose donc la question.  Dr Aoude sourit, oui, il sera mon chirurgien.  Il ajoute que ses résidents le savent, comme Fellow, il aime être en charge.  Ça, c’est la meilleure nouvelle de la journée.🙏

Ce qui nous amène à discuter de son parcours.  Oh loy loy!  Mais quelle formation!  À 24 ans, Dr Aoude complétait une maîtrise en génie biomédical.  D’ailleurs, il dit toujours travailler dans les laboratoires à la conception mécanique des outils et des instruments.  C’est ensuite qu’il a décidé de se lancer en médecine.  Il est non seulement Fellow, chirurgien et oncologue pour les sarcomes, mais il avait aussi fait préalablement un 1er Fellow axé sur les opérations à la colonne vertébrale!!  Non, mais sérieusement, il faut être surdoué pour avoir fait tout ça à un si jeune âge.  Mais qu’ai-je donc fait de ma vie tout ce temps?  Je suis fière de ce que j’ai accompli à ce jour bien sûr, mais vraiment… aucune comparaison avec ce grand homme.  Je sais, je sais, la vie n’est pas une comparaison, je l’ai déjà dit, mais son parcours est remarquable. Si comme moi la curiosité vous tenaille, il ne faut pas manquer de lire cet article à son égard.[2]

Je trouve enfin le courage de lui poser la question que je retiens depuis le début, celle pour laquelle je ne veux pas entendre la réponse, mais il le faudra bien…

Quelles sont les probabilités que sur la table d’opération, les choses ne tournent pas comme prévu et qu’il faille amputer?  Sa réponse :  ZÉRO!  Il ajoute : ce territoire ne m’inquiète pas; j’ai vu des cas où les autres hôpitaux ont dit que l’amputation était la seule solution et on a fait des miracles en opérant. Ça, c’est la deuxième meilleure nouvelle de la journée.  En fait, je crois qu’elle surclasse même la première. 😊

Si je retiens mon soupir de soulagement, je ne retiens pas mon sourire dont les extrémités touchent aux murs opposés de la pièce, j’en suis sûre.

Johns Hopkins Medical Campus
Dr Aoude me raconte l’histoire d’un cas hyper complexe pour lequel il a demandé les conseils de la grande université Johns Hopkins[3] aux États-Unis (Maryland). 

L’université lui a dit que ce qu’il s’apprêtait à faire était impossible; personne n’a jamais réussi.  La suite est écrite dans le ciel, n’est-ce pas?  Il a réussi la chirurgie avec les marges de tissus très minces à sa disposition.  Il blague en racontant qu’il aime les choses compliquées.  Une chance pour moi!

Je lui mentionne l’intérêt que j’ai eu à écouter le documentaire De Terry Fox à aujourd’hui et comment j’ai été impressionnée de son intervention.  Il me raconte avec fierté qu’il a opéré avec succès la dame dont le cas compliqué faisait l’objet de cette partie du documentaire. C’est une première au Canada. Je prends des notes mentales, un seul chirurgien pour moi : Dr Aoude!

Émoji qui se gratte la tête surpris
Dans l’émission, Dr Mottard avait dit qu’il existait des centaines de sarcomes, je demande au docteur qu’elle est précisément le mien; c’est un mixo-fibro-sarcome.  Ah oui, bien sûr… un mixo-fibro-sarcome, c’est ce que je pensais. (Not!)

On discute de la préadaptation, il fera un rappel à l’équipe de recherche dont je n’ai pas eu de nouvelles. Il est étonné, il m’y avait inscrite en avril, mais me dit que ce n’est pas la fin du monde si je n’en ai pas. Comme j’aimerais bien mettre toutes les chances de mon côté, je réitère mon désir de prendre part au protocole.

Michel le taquine en lui disant que tout ce qui lui manque, c’est un talent musical, ce à quoi j’ajoute : je te parie qu’il l’a. Dr Aoude rigole avec nous et prétend n’avoir aucun talent à cet égard (je continue d’avoir un petit doute, mais bon!).  Michel lui dit que c’est la première fois qu’il rencontre un ingénieur-médecin; Dr Aoude répond que tout le monde lui dit qu’il est fou en riant de bon cœur.  Michel l’amène à parler de son amour pour la chirurgie.  Dr Aoude raconte qu’il aimait beaucoup créer des inventions, travailler à l’innovation, créer des patentes, mais il adore la chirurgie.  « La chirurgie, c’est ma passion! »  Sa passion vient qu’il adore tout ce qui est techniquement difficile.  Il adorait remplacer le système de son dans son auto quand il était jeune, il aime faire de la construction dans la maison, des rénovations, I love it, mais l’être humain et toute l’anatomie, c’est juste fascinant dit-il.  Il ajoute : faire ce qu’on fait, c’est presque impossible; je ne pensais pas que c’était possible, mais maintenant que je peux le faire, c’est passionnant et sauver des vies, ça, c’est le plus important!

Michel souligne qu’il lui faut des bonnes mains[4].  Dr Aoude sourit et répond : oui, ça, c’est autre chose, les mains, I have been blessed.

Je signe les divers consentements pour la chirurgie et l’anesthésie.  Dr Aoude me fait aussi signer un consentement pour une transfusion de sang, au besoin, mais il rit en ajoutant : tu n’en auras pas besoin. 😊

Je quitte Montréal plus tard cette fois, il est presque 15 h 30. J’anticipe déjà les bouchons de circulation sur le boulevard Métropolitain à l’éveil de l’heure de pointe, mais qu’à cela ne tienne, je repars chez moi le cœur plus léger.

La 417 Ouest m’ouvre ses portes avec un sourire moqueur.  Cinq minutes en sol ontarien et déjà le soleil se dissipe pour faire place aux nuages moroses qui me font un pied de nez.  Quelle surprise!  De la pluie!

Mais ni les gouttes qui s’abattent sur mon pare-brise, ni les chiures des mouches qui s’y multiplient ne viennent embuer ma bonne humeur.  C’est moi qui leur fais une grimace. Go to hell!

Lady Gaga
Je reprends ma danse sur le discours musical du disco, en symbiose avec le fortissimo de la mesure qui retentit dans la cabine de ma voiture.  Lady Gaga[5] [6]m’y accompagne l’espace d’un instant :

 

I'm on the right track, baby, I was born to be brave.


Dans la semaine qui suit, j’ai plusieurs appels avec l’équipe de la préadaptation.  Il semble y avoir une certaine confusion autour de mon cas.  Ce n’est pas clair s’ils m’ont oubliée en avril, lorsque Dr Aoude m’y a inscrite, ou s’ils avaient décidé de mettre ma candidature de côté puisque j’habite Gatineau, assumant que je ne ferais pas la navette entre les deux villes.  J’insiste avec vigueur auprès de Hamoud, assistant de recherche, je suis très intéressée à faire partie du protocole et souhaite maximiser les chances de guérison rapide.  Je viendrai à Montréal aussi souvent que nécessaire.  Éventuellement, ils acceptent de m’inclure au protocole.  Yesss!

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